Le projet « E Voce di u Castagnu »

E Voce di u Castagnu a pour ambition de documenter, préserver et valoriser le patrimoine unique des châtaigneraies corses, fragilisées par l’abandon, les maladies et le changement climatique. Porté par le Centre INRA LRDE Corte, COAL, la commune de Bocognano, et une communauté de chercheurs, d’acteurs territoriaux et d’artistes, il propose une approche interdisciplinaire alliant écologie, sociologie, philosophie, sciences de gestion et expression artistique, pour créer une œuvre chorale et innover dans les usages et les modes de vie.

Le Châtaignier, arbre de la providence et de la liberté

En Corse, le châtaignier incarne un héritage unique et un équilibre singulier, au croisement des dimensions écologiques, culturelles et démocratiques, qui fait de la châtaigneraie corse une particularité en Europe. Le châtaignier y fût « arbre à pain », « arbre de la providence », « arbre de la liberté», épicentre de formes de vie à la fois démocratiques et écologiques, indissolublement. On disait du châtaignier qu’un seul exemplaire suffisait à la subsistance d’une famille entière pendant un an. Aucun arbre n’a occupé une place aussi centrale dans l’histoire de nos civilisations rurales et n’a été autant socialisé. Il se distingue par sa persistance, malgré 20 siècles de mise en culture, à ressembler à un grand arbre forestier, sauvage et libre. Il cultive le flou artistique entre sauvage et domestiqué, entre nature et culture, entre forêt et agriculture. Un entremêlement qui caractérise la châtaigneraie corse et constitue une originalité qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. 

On lui a dédié des chansons, des poèmes, des romans. Dont le fameux Lamentu di u Castagnu (la complainte du châtaignier) chanson engagée de Antone Battisti Paoli écrite au début du XXe siècle (à une période de coupe intensive des châtaigniers pour alimenter une nouvelle usine de Tanins) qui accompagne les enfants corses depuis des générations. Elle a la particularité d’employer le point de vue du châtaignier qui exprime sa tristesse face à l’ingratitude de la société humaine, oublieuse de sa générosité passée. Ce chant témoigne du passage d’un système traditionnel à l’ère industrielle et de ses conséquences écologiques et culturelles. 

De 2009 à 2019 on a assisté à une remobilisation sans précédent des communautés de castanéiculteurs.trices Corses en lien avec les habitants pour lutter contre les attaques d’un nouveau parasite : le cynips. Une extraordinaire mobilisation habitante a donné lieu à une mutualisation des savoirs et des actions de terrains mais aussi des levées de fond souvent grâce à l’organisation de fêtes de village et de foires dédiées à l’arbre. La conjugaison de la culture populaire, des techniques et des savoirs scientifiques autour du châtaignier qu’on voit se perpétuer ici, illustre l’histoire d’une relation unique entre humaines et arbres. 

Une volonté politique et citoyenne pour à nouveau relancer la châtaigneraie – motivée par des enjeux écologiques, économiques (notamment lié à l’autonomie alimentaire) et culturels –  s’est engagée notamment avec l’écriture collective en 2023 de plusieurs scénarios de transition pour le territoire qu’il s’agit aujourd’hui de faire accepter et de mettre en œuvre. 

Les nouvelles voix du chataigniers 

S’inspirant du chant traditionnel, U Lamentu di u Castagnu, le projet ambitionne de documenter, préserver et valoriser cet héritage en mobilisant une approche interdisciplinaire qui mêle écologie, sociologie, philosophie, sciences de gestion et expression artistique. Il propose la co-création d’une œuvre chorale, chantée, dansée et « virale » pour accompagner l’écriture de ce nouveau récit avec les principaux concernés (élus, castanéiculteur.trices, habitants, usagers, arbres…), qui s’appuie sur des anciens usages, faits culturels et attachements contemporains. Le projet sera déployé autour de Bocognano, territoire historique de relance du châtaignier avec ses 350 ha de châtaigneraies, sa foire annuelle et son musée dédié.

La recherche interdisciplinaire vise à rendre possible une relance de la châtaigneraie qui transforme les modes d’existence et les usages des châtaigneraies par l’innovation et la diversification en mobilisant la double valence du concept d’écosystème en écologie et en sciences de gestion et de « biodiversité naturelle et culturelle », le tout au service d’un réaménagement durable du territoire corse. 

Sa mise en œuvre via une approche de recherche-action sera structurée en 3 phases sur 2 ans : une enquête arts-sciences, la réalisation de livrables culturels et à l’usage des acteurs locaux basés sur des dispositifs de co-création, pédagogie et médiation, suivi d’une phase de dissémination et de partage en liens notamment avec d’autres territoires de châtaigneraies. 

Un impact durable pour la Corse et au-delà

En initiant une pratique à l’échelle d’un territoire, le projet « E Voce di u Castagnu » entend générer un précédent pour mieux prendre en considération les conséquences transformatrices des pratiques culturelles dans l’évolution des territoires et les inscrire dans le temps long, mais aussi contribuer à l’évolution des politiques publiques en matière de biodiversité et de gestion des écosystèmes et des formes de prise de décision collective. Les résultats obtenus pourront servir de modèle pour d’autres territoires castanéicoles en Corse, mais aussi en France, en Italie et au-delà.

Ce programme n’est pas seulement un projet de préservation, mais une invitation à redécouvrir et à renouveler notre relation avec la nature. Le châtaignier, dans cette démarche, devient un vecteur de transmission intergénérationnelle, un symbole de résilience face aux défis environnementaux, et un moteur de transformation sociale et culturelle.

Le séminaire de lancement du projet se déroulera le 15 octobre à Bocognano.